Samuel Thayer est auteur de plusieurs bestsellers sur les plantes sauvages comestibles en Amérique du Nord. J’ai eu la chance de le recevoir lors de son voyage en France à la rencontre de la flore de chez nous.
Passionné de nature depuis son plus jeune âge, Samuel Thayer a acquis une expérience hors du commun des plantes sauvages comestibles dont il se nourrit au quotidien avec sa famille. Il transmet son savoir à travers ses livres, références dans le domaine, et lors de stages sur le terrain dans le Wisconsin, au Nord des Etats-Unis.
Dans cet entretien j’ai pu poser quelques questions à Samuel sur sa pratique des plantes sauvages comestibles et sur les différences entre la flore de chez nous et celle d’Amérique du Nord.
Pour trouver Samuel Thayer, ses activités et ses livres : https://www.foragersharvest.com/
Présentation de Samuel Thayer, son activité autour des plantes sauvages comestibles
Nathalie : Bonjour, je suis très heureuse et honorée aussi de vous présenter aujourd’hui Samuel THAYER qui est venu des États-Unis, un spécialiste des plantes sauvages comestibles, auteur de plusieurs livres qui est venu pour la première fois en Europe, en France pour explorer la la flore d’ici. Très très heureuse de pouvoir te poser quelques questions aujourd’hui avec ta grande expérience des plantes sauvages comestibles. Alors Samuel s’intéresse aux plantes sauvages comestibles depuis tout petit. Comment tu es venu à passer ta vie avec les plantes sauvages comestibles ?
Samuel Thayer : Quand j’étais petit j’avais faim et j’avais besoin de sortir de ma maison.
N : Et ce qui t’attirait c’était les plantes sauvages ?
S : Dans la forêt j’ai trouvé des choses à manger et des choses qui m’intéressaient comme les salamandres, les grenouilles, les oiseaux, les arbres, les fleurs toutes les choses.
N : Et puis c’est devenu une passion de tous les jours en fait ?
S : Oui j’ai appris à manger quelques plantes avec ma grand-mère mais pas beaucoup. Mais à l’âge de 10 ans j’ai découvert qu’il y a des livres sur les plantes sauvages comestibles et c’était comme une porte qui s’est ouverte ouverte.
N : Donc c’est à travers des livres que tu as appris ? Parce que quand on est enfant et qu’on va vers une plante on ne sait pas si elle est toxique ou si elle peut se manger ; donc ce sont les livres qui t’ont appris telle plante je peux la manger et telle plante elle est dangereuse ?
S : Pour la plupart mais chaque fois que quelqu’un m’a dit que quelque plante se mange je m’en souvenais.
N : Ah oui ; et et donc aujourd’hui quelle est ton activité en lien avec les plantes sauvages ?
S : Je les mange chaque jour, je les recherche dans la littérature des plantes sauvages comestibles mais aussi la littérature écologique.
Je récolte quelque chose en masse comme le sirop d’érable, le riz sauvage, les – comment je veux dire – le noyer américain, le hickory c’est une espèce de noyer. Et aussi j’ai un verger de pommier et de pruniers sauvages.
N : Donc tu commercialises aussi ces plantes ?
S : Oui.
N : Et puis tu as écrit plusieurs livres.
S: Oui j’ai écrit quatre livres et ils se vendent bien. Les livres c’était ma principale source de revenu.
N : Je vais vous les montrer les livres (voir en fin d’article). Et le dernier livre c’est un gros livre très lourd donc un « field guide » donc un un guide de terrain de 700 plantes sauvages comestibles d’Amérique du Nord. Donc tu as énormément voyagé aussi pour aller à la rencontre de toutes ces plantes. Ce qui me passionne dans tes livres c’est qu’on sent vraiment une expérience ; chaque plante on sent que tu l’as étudié, tu l’as transformé, mangé sous toutes ces formes. Donc c’est ça que je trouve génial que ce n’est pas un savoir théorique mais c’est vraiment un savoir pratique que tu transmets. Tu organises aussi des stages sur le terrain.
S : J’organise de 12 à 20 stages par an.
N : Donc tu as vraiment à cœur de transmettre tout ce savoir aussi.
S : Oui.
Différences entre la flore d’Europe et d’Amérique du Nord
N : Alors tu vis dans le nord des États-Unis au Wisconsin où le climat est plus froid qu’ici. Quelle est la principale différence entre la flore de chez toi et ce que tu as découvert ici ?
S : La chose que j’ai trouvé le plus étonnant c’est qu’en Europe la diversité des espèces de plantes est beaucoup moindre qu’aux États-Unis dans les paysages similaires.
N : Oui ça c’est lié à l’histoire de l’Europe et des États-Unis avec les glaciers… Pour vous expliquer : quand le climat s’est refroidi, les plantes se retiraient dans le sud de plus en plus mais ils n’ont pas pu passer les Alpes. Et donc au moment de la glaciation ces plantes-là se sont éteintes en Europe. Par contre aux États-Unis où les montagnes sont du nord au sud les plantes ont pu descendre dans le sud et quand ça s’est réchauffé elles ont pu revenir petit à petit. C’est la principale raison, il me semble, pour cette différence.
S : Avant la glaciation la flore ici en France était beaucoup plus diverse.
N : Oui c’est ça. Et vraiment tu le vois dans dans le paysage ici ? Ça t’a frappé ?
S : De temps en temps c’était incroyable : ses forêts de hêtre pour des kilomètres après kilomètres, 90 % de hêtres !
N : Alors que chez vous il y a plein d’arbres différents.
S : Oui !
N : C’est intéressant.
S : Mais pour la plupart les plantes sauvages comestibles sont très similaires ; nous avons une espèce de hêtre vous avez une espèce de hêtre. Nous avons des chênes, vous avez des chênes. Nous avons un ail sauvage très similaire de l’ail des ours. Beaucoup de choses sont très similaires.
N : D’accord mais tu disais, par exemple vous avez de la carotte sauvage c’est la même espèce que chez nous, Daucus carota, mais elle est beaucoup plus grande qu’ici.
S : Oui je ne sais pas pourquoi et peut-être ce n’est pas vrai partout.
N : Oui il peut y avoir des différences entre les états, les régions en Amérique aussi éventuellement. Mais en tout cas quand on est allé se promener, tu reconnais tout donc les espèces ne sont peut-être pas forcément exactement les mêmes mais sont très très proches. Est-ce que tu as vu des choses où vraiment c’est une découverte, tu n’avais jamais vu telle tel genre de plante ?
S : Oui les plantes que j’ai vu en France que nous n’avons pas aux États-Unis sont les Primula (primevère). Nous n’avons pas ce genre. Et aussi une Apiacée, la noix de terre.
N : Ah oui que tu as vu en Auvergne.
S : Oui nous en avons mangé.
N : Oui, c’est délicieux.
S : J’ai mangé la moitié, c’est délicieux. D’accord je pense qu’il y a d’autres choses mais je ne m’en souviens pas.
Les plantes sauvages comestibles que Samuel récolte le plus
N : Maintenant est-ce que tu peux nous donner quelques exemples de plantes que tu manges très souvent chez toi au printemps, en été en automne ?
S : J’aime beaucoup les plantes que je peux ramasser beaucoup et manger toute l’année. Par exemple le riz sauvage, les noix. Chez moi nous récoltons beaucoup de myrtilles sauvages. Aux États-Unis elles n’ont pas le même goût que celles de France. Mais nous mangeons, ma famille, nous mangeons plus que 100 kg, de temps en temps 300 kg. Aussi des amélanches, nous avons sept espèces d’amélanches au Wisconsin, mais en France il y en a une seulement. Mais c’est une chose que nous mangeons beaucoup.
N : Et dans les plantes qui font plus des feuilles lesquelles sont celles que tu manges le plus ?
S : Les orties, nous avons deux espèces d’orties, Urtica dioica, exactement comme en France, mais aussi nous avons ce que nous appelons en anglais le wood nettle, l’ortie des bois. Je la préfère et j’en mange beaucoup. Dans la saison il y a plusieurs d’espèces de feuilles comestibles que nous utilisons l’une après l’autre, après l’autre.
N : Et il y en a que tu préfères ?
S : Nous avons des espèces de campanule que j’aime beaucoup. La la berce.
N : Oui, la berce, vous avez une autre espèce que chez nous, il me semble.
S : Oui, quelques espèces de laitue sauvage, le pissenlit.
N : L’hiver est chez toi est beaucoup plus long que chez nous. Comment tu fais pour pouvoir manger des plantes sauvages en hiver ?
S : C’est une question intéressante parce que j’ai trouvé qu’en France et pour la plupart aux États-Unis on pense les plantes sauvages comestibles comme une chose qu’on ajoute au pain, qu’on ajoute au beurre. Mais pour moi les plantes sauvages comestibles c’est aussi une chose pour remplacer le pain et le beurre. Et donc nous mangeons le riz sauvage ou les glands, la farine de glands toute l’année. Aussi nous fabriquons de l’huile de noyer sauvage. Nous ne mangeons pas beaucoup de feuilles sauvages dans l’hiver mais nous mangeons beaucoup d’espèces de racines ou tubercules ou bulbes et aussi des des graines séchées comme le riz sauvage, l’amaranthe, le chénopode et aussi plusieurs espèces de noix et des glands, des choses comme ça. Nous pouvons manger toute l’année facilement des plantes sauvages comestibles; pas 100 % mais la moitié de la nourriture.
N: Tu as un grand terrain pour pouvoir cueillir tout ça ? Tu cueilles sur sur un grand territoire ? Parce que pour toute la famille, pour tout l’hiver ça représente beaucoup de cueillettes, donc il faut avoir aussi la possibilité d’en faire autant de de cueillettes.
S : Il y a des endroits chez moi, des terrains publics où je peux récolter les noix, les glands les baies pour la consommation. Et aussi chez moi nous avons un terrain de 18 hectars.
N : Toi et ta famille est-ce que vous êtes les seuls à faire ça, à manger autant de plantes sauvages ou est-ce qu’il y a des personnes autour de chez toi ? Est-ce qu’il y a des personnes peut-être que tu as inspirées qui aujourd’hui font pareil ?
S : Ça dépend quelle chose nous récoltons. Il y a beaucoup de personnes qui récoltent les myrtilles sauvages par exemple. Et le le riz sauvage probablement 3000, c’est beaucoup. Mais d’autres choses comme les glands pas beaucoup de personnes mangent ça aux États-Unis non plus. L’ail sauvage, « ramps » aux États-Unis, il a beaucoup de personnes qui les mangent. Les autres choses que nous mangeons, très très peu de personnes les connaissent.
N : Si tu partais dans un pays où il n’y a pas de plantes quelles seraient les trois plantes que tu aimerais emporter ? Tu dis les ces trois plantes comestibles-là, il faut absolument que je les emmène avec moi.
S : Trois c’est tout ? Trois ?!
N : (Rire) Je suis désolée…
S : Ça serait le riz sauvage, l’amélanchier et le hickory, le noyer sauvage.
N : C’est avec ce noyer sauvage que tu produis de l’huile ?
S : Oui.
N : Tu m’as raconté que c’est quelque chose qu’on faisait il y a très longtemps mais qui ne se faisait plus du tout. Alors tu as développé une méthode pour produire cette huile.
S : Oui et je fabrique 100 à 200 litres par année.
Récolte du riz sauvage
N : C’est bien nourrissant en fait. Ici on a les glands mais pas de riz sauvage. Si je réfléchis à quelque chose qui est consistant comme ça, qui pourrait faire la base d’une d’une alimentation riche en amidon chez nous… à part les glands il y a les châtaignes qu’on pourrait éventuellement utiliser ici. On n’a pas la chance d’avoir du riz sauvage chez nous.
S: Oui chez moi il serait plus difficile de manger sauvage sans le riz sauvage.
N : Ça pousse où ? Il me semble que le riz sauvage a toujours besoin d’avoir les pieds dans l’eau. Vous le récoltez au bord des lacs ?
S : Oui nous le récoltons dans le lac. L’eau a une profondeur de 50 à un peu plus d’un mètre et nous le récoltons en pirogue. Une personne pousse la pirogue avec une bourde et l’autre a deux bâtons, l’un pour faire pencher les plantes et l’autre pour faire remuer les graines.
N: Donc les graines tombent dans le bateau ?
S : Oui les graines sont dans le bateau.
N : Ok et après il faut enlever la graine de l’enveloppe ?
S : C’est c’est absolument nécessaire d’enlever la balle oui parce que c’est c’est impossible de manger le riz sauvage sinon. Je ne peux pas expliquer tout le processus. Je l’ai expliqué à François Couplan et ça m’a pris une demie-heure. C’est pour ça que je connais les termes « balle » et « vanner ».
N : Tu as développé tout un processus pour enlever la balle, l’enveloppe de la graine, et puis vanner après, c’est pas mal de travail en fait. Vous faites ça en famille, entre amis ?
S : Oui, tous les deux mais je ne l’ai pas développé, ce processus, je l’ai appris des indigènes.
Le conseil de Samuel Thayer pour apprendre les plantes sauvages comestibles
N : Ah oui ! Si tu avais un conseil à donner à des personnes qui aimeraient utiliser plus les plantes sauvages, qui démarrent peut-être, quel serait le conseil que tu donnerais ?
S : Je dirais ne pas essayer de manger trop de plantes tout de suite. Apprenez une plante à la fois. Parce que une fois que vous l’avez identifiée, puis récoltée, puis cuisinée, mangée vous n’oublierez pas.
N : C’est vrai, je le remarque toujours dans les stages où on fait de la cueillette et de la cuisine. Le savoir s’ancre beaucoup plus. Quand on fait juste de l’observation, on oublie vite.
S : Manger les plantes c’est s’en souvenir. Si l’on apprend une plante par mois pendant 3 ans sauf en hiver ça fait 25 plantes, c’est beaucoup !
N: Donc on y va petit à petit.
S : Oui.
N : Merci Samuel de nous parler en français parce que ce n’est pas évident mais ça a beaucoup de valeur pour nous. Des Américains qui parlent français il y en a pas tant que ça. Je te remercie énormément. Je te remercie beaucoup aussi d’être venu me voir, c’est vraiment un cadeau que tu m’as fait, et je te souhaite un bon retour aux États-Unis et plein de bonheur avec les plantes sauvages. Et reste comme tu es, merci Sam !
S : C’était mon plaisir.
Les livres de Samuel Thayer
Sam Thayer’s Field Guide to Edible Wild Plants of Eastern and Central North America
WINNER of the National Outdoor Book Award 2023 in the Nature Guides category. This book is the most comprehensive field guide ever written about wild edible plants!
The Forager’s Harvest: A Guide to Identifying, Harvesting, and Preparing Wild Edible Plants
Over 300,000 copies sold ! Samuel Thayer’s first published book about wild edible plants. Covers 31 plants and contain 218 color photos. There is no overlap in the plants covered in his 3 books. All books contain different plants.
Nature’s Garden: A Guide to Identifying, Harvesting, and Preparing Edible Wild Plants
Samuel Thayer’s second book about wild edible plants. Contains 41 plants (all different than the first book), 512 pages in length, and 512 color pictures.
Incredible Wild Edibles: 36 Plants That Can Change Your Life by Samuel Thayer
Vous trouvez les livres et les activités de Samuel Thayer ici : https://www.foragersharvest.com
Merci Nathalie pour cette belle rencontre. Serait-il possible de savoir de quelle espèce Sam parle-t-il pour les noix de hickory j’ai vu que c’était la caryer mais lequel? Merci pour votre réponse
Francine
Il y a plusieurs espèces de hickory dans le Nord des Etas-Unis. Celle que Sam utilise pour faire de l’huile c’est la « bitternut », Carya cordiformis
merci Nathalie pour cette réponse ultra rapide!
Bravo et merci pour cette chouette interview !
Paul Vincent le jardin du bon dieu,et qui a écrit plusieurs autres livres