On remarque le prunellier deux fois dans l’année : Au début du printemps quand il brille blanc comme neige, le buisson entièrement recouvert d’innombrables fleurs, et à l’automne quand ses fruits bleus invitent à la cueillette. Entre les deux, il passe presque inaperçu avec son feuillage discret et son port “banal” de buisson caché au milieu d’autres espèces de la haie.
Les prunelles
Je suis en admiration devant l’harmonie des couleurs qu’offre une branche de prunellier en fruit : Le bleu argenté des prunelles rondes et dodues sur le vert légèrement luisant des feuilles et le marron noir des branches…Si, pour couronner tout ça, le ciel est bleu au dessus, c’est pour moi le tableau parfait de l’abondance. Une abondance emplie de beauté et de simplicité.
On ne peut qu’être tenté de goûter à ces fruits bien remplis. Mais en général on s’arrête après avoir croqué dans le premier, car il fait de l’effet : le palais et la langue se contractent et souvent le visage se déforme en grimace… La prunelle a un goût âpre, astringent et acide même si on sent aussi une saveur sucrée. Pour apprécier vraiment les prunelles, il faut attendre les premières gelées. Celles-ci rendent les fruits blettes et le goût âpre et astringent s’atténue beaucoup. On peut alors transformer les prunelles de multiples façons dont je vous parlerai plus loin dans l’article.
Mais revenons un instant au printemps…
Premières fleurs du printemps
Le prunellier (Prunus spinosa) est un des premiers, voire LE premier arbrisseau qui fleurit au printemps. Dès le mois de mars, dans les étendus en friche, les terrains vagues et les haies, on peut observer d’innombrables grands buissons remplis de petites fleurs blanches. Comme pour le cerisier et l’amandier (qui font partie du même genre “prunus”), les fleurs s’épanouissent avant les feuilles. Le genre “Prunus” fait partie de la famille des Rosacées. Comme pour les autres membres de cette famille, la fleur du prunellier est composée d’un calice de 5 sépales et de 5 pétales libres (=non collées les unes aux autres). Elle a un pistil et de nombreuses étamines. C’est l’exemple de la fleur classique présentée en cours d’école pour expliquer la pollinisation…
Voici mon article détaillé sur les fleurs de prunellier ainsi que ma recette de crème glacée aux fleurs de prunellier.
Quel plaisir de s’approcher d’un prunellier et de sentir le parfum de ses fleurs ! Après un long hiver, je peux rester des minutes entières le nez accroché aux fleurs à aspirer la preuve du retour du printemps… Leur parfum rappelle l’amande amère. Elles s’utilisent en infusion (voir plus loin) et peuvent servir à la préparation de desserts.
Lors d’un repas aux plantes sauvages, dans mon restaurant en bord de Loire, je m’en étais servie pour préparer une crème façon crème brûlée. Pour cela j’avais versé du lait chaud sur les fleurs, j’avais laissé infuser pendant une heure et j’avais utilisé le lait parfumé pour confectionner ma crème à la saveur délicate d’amande amère.
Feuilles alternes
C’est seulement une fois que les fleurs se fanent que les feuilles apparaissent à leur tour. Elles sont petites, ovales, allongées et finement dentées. Jeunes, elles sont pubescentes (couvertes d’un duvet blanc), plus âgées elles sont glabres (sans poils). Elles sont alternes, ce qui veut dire qu’elles “poussent isolément à des endroits différents sur un rameau”. En simple : quand vous regardez un rameau, vous avez une feuille à droite, un peu plus loin une feuille à gauche, un peu plus loin une feuille à droite et ainsi de suite.
Arbre, arbuste, arbrisseau ou buisson ?
Dans mes recherches sur le prunellier, j’ai trouvé, selon les ouvrages, différents termes pour décrire le prunellier. Pour les uns (*) il s’agit d’un arbuste, pour les autres (**) c’est un arbrisseau et pour d’autres encore (***) on est devant un un buisson ! Je me suis aperçue que j’avais une vague idée sur leurs différences mais que je ne m’étais jamais posée la question de leur définition précise. Allons voir de plus près.
Déjà, quand on parle d’arbres, d’arbustes, d’arbrisseaux ou de buissons, on parle de plantes ligneuses. C’est à dire qu’à la différence des plantes herbacées, elles fabriquent des lignines en grande quantité. Les lignines sont des macromolécules qui donnent au bois sa structure et sa rigidité. Elles sont l’essence même du bois : sans lignines pas de bois.
Définitions
L’arbre est caractérisé par un tronc unique duquel partent, à une certaine hauteur, des branches pour former le houppier. Selon les définitions, on parle d’un arbre à partir de 5, ou 6 ou 7 mètres de hauteur.
L’arbuste est bien un petit arbre. Selon les définitions que j’ai trouvées, il s’agit d’une plante ligneuse à tronc unique qui n’atteint pas plus de 5 (ou 6 ou 7…) mètres de hauteur. Pour le différencier de l’arbre, il n’y a que la hauteur.
Quand on n’a pas de tronc unique mais qu’il y a des ramifications dès la base on parle d’un arbrisseau. C’est un végétal ligneux à troncs multiples. Certaines définitions donnent une hauteur maximale de 4 mètres à un arbrisseau. Mais dans ce cas, dans quelle case mettre ceux qui montent plus haut ? Par contre, il existe le terme sous-arbrisseau pour les arbrisseaux qui n’atteignent pas plus de 50 cm. C’est le cas du thym par exemple, qui est une plante ligneuse, ramifiée dès la base, mais petite.
Et un buisson ? Ce seraient plusieurs arbrisseaux qui poussent ensemble qui forment un buisson. Donc un ensemble de plusieurs individus.
Vous voyez plus clair ? Reste à répondre à la question à quelle catégorie appartient notre prunellier. Je crois que je vais faire un tour dehors pour me faire ma propre idée !
Alors… Les prunelliers à côté de chez moi se ramifient bien dès la base et on ne distingue pas de tronc central. Leur taille est de 3 à 4 mètres de hauteur. Selon les définitions ci-dessus ce serait donc un arbrisseau. Et comme il y en a plusieurs les uns à côté des autres, ils forment un beau buisson ! Et bien voilà, on y arrive… !
Prunellier ou épine noire
Vous connaissez peut-être le prunellier sous son autre nom “d’épine noire”. Ses rameaux sont d’un marron très foncé, presque noir, et ils sont très épineux. Ils partent souvent en angle droit de la branche et se terminent en fortes épines. De par ce fait et par leur ramification dense, les buissons de prunelliers forment des cachettes parfaites pour les oiseaux qui aiment nicher dans leur branches. C’est aussi pour cet aspect impénétrable que, dans le temps, le prunellier faisait partie des haies protectrices plantées autour des maisons et des champs. J’en parle dans mon article sur l’aubépine qui souvent fait partie de ces haies avec l’épine noire et l’églantier.
Les feuilles et jeunes pousses ont, comme les fleurs, un goût d’amande amère. C’est ce parfum là que l’on recherche dans le vin d’épine. Pour le fabriquer on fait macérer les jeunes feuilles et pousses dans un mélange d’eau de vie et de vin tout en ajoutant du sucre. Séchées, les feuilles peuvent être ajoutées au tabac.
Les prunelles, fruits du prunellier
Venons aux fruits, appelées prunelles. Ils sont ronds comme des billes, plus petits que des cerises et de couleur bleue, couverts d’une pellicule cireuse qui leur donne un aspect argenté. Ils mûrissent en septembre – octobre. Comme pour les prunes, pêches, cerises, abricots et olives, il s’agit de drupes. C’est le nom que les botanistes (ceux qui donnent des noms compliqués à tout ce qui pousse…) donnent – pour être simple- à des fruits qui sont charnus et renferment un noyau.
La chair de cette drupe (appelée épicarpe par les botanistes) a une couleur vert-jaune et se colore en rouge quand le fruit devient blette après les gelées.
Ce qui est pratique, c’est que les prunelles se conservent sur l’arbre jusqu’à tard dans l’année. On peut les récolter jusqu’au mois de décembre. Comme ça on a le temps de tranquillement consommer nos autres fruits d’automne. Et on peut encore se réjouir de fruits frais après les premières gelées, quand les prunelles sont devenues molles et plus agréables à manger. Si vous le souhaitez, vous pouvez aussi contourner l’attente des gelées en passant les prunelles récoltées une ou deux nuits au congélateur…
Pour préparer une liqueur de prunelles, on écrase celles-ci quand elles sont blettes en prenant soin de concasser en même temps quelques noyaux. Puis on fait macérer 2 à 3 mois dans de l’eau de vie et du sucre avant de filtrer. Pourquoi on concasse les fruits ? Pour leur goût d’amande amère que j’ai déjà mentionné en parlant des fleurs et des feuilles.
Des composants intéressants…
Ce qui donne ce parfum à la plante, ce sont des traces de glycosides cyanogéniques. C’est la graine (aussi appelée amande), qui se trouve au milieu du noyau qui en contient le plus. Comme ces glycosides sont le précurseur de acide cyanhydrique, substance très toxique, ne vous amusez pas à manger des graines de prunellier en quantité ! Mais de toute façon leur goût est trop fort et l’effort trop important pour sortir les minuscules amandes du petit noyau…
Par contre vous ne serez pas étonnés d’apprendre que la chair des fruits contient de la vitamine C, des sucres, des tannins et des anti-oxydants (antocyanes). Elles constituent alors une bonne source d’énergie et des substances protectrices ce qui a été apprécié par les humains depuis longtemps. Des preuves de la consommation de prunelles ont été trouvées qui remontent jusqu’au néolithique !
Teinture, bois d’œuvre et porte-greffe
A une époque, l’écorce du prunellier servait pour teindre la laine et le lin en rouge. Le bois coupé, lui aussi, est rouge au centre. Il est très dur et servait couramment pour fabriquer des cannes.
Nos différentes variétés de pruniers que l’on trouve actuellement dans nos vergers et jardins (mirabelle, quetsche, Reine-claude) seraient issus du croisement entre notre prunellier Prunus spinosa et le prunier-cerise aussi appelé prunier myrobolan (Prunus cerasifera), originaire de Perse. Les deux espèces sont encore couramment utilisées comme porte-greffe.
Propriétés médicinales du prunellier
Les différentes parties de la plante servent aussi pour se soigner. Les fleurs du prunellier (fraîches ou séchées) se boivent en infusion. Elles ont un effet laxatif doux qui peut être mis à profit pour les enfants. Elles sont en même temps diurétiques et stimulent le métabolisme.
Les fleurs se récoltent en bouton ou tout juste ouvertes. Autant vous dire qu’il faut s’y prendre tôt pour ne pas rater le moment ! Parfois on est tellement surpris par l’arrivée du printemps, qu’une fois arraché de ses habitudes hivernales (en d’autres mots du fauteuil devant la cheminée…) les pétales de prunellier sont déjà en train de tomber…
Les fruits sont utilisés comme fortifiant après de longues maladies ou des périodes de grippe (compote, sirop) et également comme laxatif.
L’effet astringent des fruits peut être mis à profit en cas de saignement ou inflammation des gencives : On conseille alors de faire des gargarismes avec du jus ou de la compote dilués.
Et en cuisine…
On a déjà abordé plusieurs utilisations culinaires. Pour résumer : les fleurs servent pour préparer des desserts. Les feuilles et jeunes pousses servent pour le vin d’épine et certains s’en servent pour aromatiser des plats. Les fruits sont utilisées en confiture, compote, jus, sirop, liqueur…
Voici ma recette préparée avec les fruits.
Gâteau aux noix et compote de prunellier
Ingrédients pour 6 mini-gâteaux
- 1 bol de prunelles blettes
- 50g de farine
- 100g de sucre complet
- 50g de poudre de noix (à défaut noisettes)
- 60g de beurre
- 2 blancs d’œufs
- 2 cuillerées à soupe de crème fraîche ou yaourt au soja
Préparation
Faire fondre le beurre. Battre les blancs d’œufs en neige.
Mélanger la farine avec le sucre et la poudre de noix.
Verser le beurre sur le mélange farine/sucre/poudre de noix et bien mélanger.
Incorporer le blanc en neige.
Beurrer et fariner 6 ramequins et verser la pâte.
Faire cuire au four à 180° pendant environ 15 minutes.
Préparer la compote de prunelles
Faire cuire les prunelles dans une casserole avec un verre d’eau pendant 5 à 10 minutes. Ne pas mettre trop d’eau afin que la compote garde une consistance épaisse par la suite.
Passer les prunelles au moulin à légumes et ajouter 2-3 cuillerées à soupe de sucre, selon votre goût.
Démouler les gâteaux aux noix et couper à l’horizontale, juste à l’endroit où la surface commence à bomber, afin d’obtenir une coupe plane. Manger le chapeau . (On en a plus besoin pour la recette.)
A l’aide d’une poche à douille, déposer de la compote sur le gâteau en dessinant des cercles.
Déposer au centre une cuillerée à café de crème fraîche ou de yaourt au soja et décorer avec une prunelle.
Et régalez-vous !
Je vous avoue que j’avais du mal à me limiter à un seul gâteau… La douceur du gâteau aux noix avec l’acidité de la prunelle, c’est plutôt réussi !
Pour cette réalisation, je me suis servie de l’astuce du passage au congélateur pour les prunelles. En fait, il y avait de belles branches de prunellier qui tombaient sur le chemin tellement elles étaient remplis de fruits. Un jour j’ai vu qu’elles avaient été coupées par la commune et je me suis alors empressée de récolter les fruits sur les branches coupées avant qu’ils ne s’abîment. Et comme ils étaient encore bien fermes et très âpres, je les ai mis au “sport d’hiver” pour quelques jours. Et ça marche !
Lancez-vous !
Merci de m’avoir lu jusqu’ici ! J’espère que cet article vous a donné des idées. Alors si vous avez des prunelliers proches de chez vous (ce qui est très probable tant cet arbrisseau est commun) allez-y, faites une petite récolte de prunelles et préparez une petite compote pour démarrer. Ou si vous lisez cet article au printemps ramassez des fleurs pour réaliser un entremet. Ou plus simple encore un lait parfumé.
Voici d’autres recettes et articles sur le sujet :
Le tout c’est de se lancer ! Quand vous observez les caractéristiques que je décris plus haut, le prunellier est tellement facile à reconnaître que vous pouvez difficilement vous tromper.
Mettez-moi en commentaire vos observations, vos réalisations, vos questions. Je serai ravie de vous lire.
A la semaine prochaine pour une prochaine plante et une prochaine recette.
(*) (Fitter/Fitter/Blamey, guide des fleurs sauvages Delachaux et Niestlé; Gérard Ducerf, encyclopédie des plantes bio-indicatrices, volume 1; Lalière/Anglade/Leray, plantes comestibles)
(**) (François Couplan, Guide des plantes sauvages comestibles et toxiques)
(***) (Fleischhauer/Guthmann/Spiegelberger, plantes sauvages comestibles)
Les prunelles étaient au congélateur depuis au moins deux semaines. Mais c’est une idée de mélanger à des pommes (ou des cenelles?). Merci pour votre réponse, Nathalie!
Bonjour Nathalie,
J’ai fait cuire des prunelles dont une partie avait fait un séjour au congélateur. Eau à fleur des fruits. J’ai laissé cuire assez longtemps, environ 45 minutes, pensant éliminer le tanin. Laissé refroidir les fruits dans le liquide, filtré pour faire une gelée. L’âpreté est encore très intense, je ne sais si le sucre pourra la masquer. Ai-je fait une erreur quelque part? Les prunelles étaient très mûres, même si le gel n’était pas encore passé dessus. Le passage au congélateur ne semble pas avoir rien changé.
Merci pour votre générosité dans le partage! Je vous suis fidèlement depuis bientôt deux ans et ne suis jamais déçue.
À bientôt,
Martine
Bonjour Martine,
J’ai constaté plusieurs fois qu’il faut laisser les prunelles vraiment plusieurs jours au congélateur, une seule nuit ne suffit pas. Et même après plusieurs jours le congélateur n’est pas aussi efficace que le gel dans la nature. Par contre l’âpreté peut être adoucie par un mélange avec un autre fruit. J’aime bien par exemple faire des compotes pomme-prunelles. Ça peut être une idée même pour vos gelées.
A quel moment ramassez-vous les jeunes pousses pour faire le vin d’épine ? En ce moment elles ne sont pas encore formées (dans ma région en tout cas, Combrailles). Il faut qu’elles atteignent 15 à 20 cm n’est-ce pas ? Et la tige est plutôt rougeâtre.
Bonjour Jean-Jacques,
Oui il est encore un peu tôt pour ramasser les pousses d’épine. Je les ramasse généralement en mai quand elles atteignent 15 à 20 cm, c’est bien ça. Les rameaux des jeunes pousses doivent être encore bien souples, ils sont souvent rougeâtres et les feuilles d’un vert clair lumineux.
Bonjour Nathalie,
Tous vos articles me réjouissent!
Vous êtes passionnante et certainement passionnée.
J’ai reçu votre livre pour Noël et je le trouve super.
Bravooooo
Merci infiniment de partager votre savoir!
Je suis fan 🙂
Pia
Bonjour Nathalie
Votre article sur ce prunellier est fort intéressant
J ai déménagé et où j habite il y en a en guise de haies, elles semblent être abandonnées et recouvertes de ces jolis fruits et dans cette région le gel étant rarissime ,je pense ramasser ces baies et les mettre au congélateur ( conseil que vous donnez ) mais puis je les conserver plusieurs semaines ainsi avant de m en servir ?
Merci d avance pour votre réponse
Bonne journee
Bonjour Françoise,
Vous pouvez laisser les prunelles plusieurs semaines au congélateur avant de vous en servir. Je l’ai déjà fait et c’est même mieux pour enlever l’astringence.
Bonjour, avez vous déjà essayer de faire sécher des fleurs de prunellier pour les utiliser pour faire un entremet?
Bonjour, oui, les fleurs fraîches ou séchées sont très bonnes pour parfumer des entremets ou des pâtisseries
Merci beaucoup j’ad Employer des plantes sauvages mais j’a Peu de recettes et les votres m’enchantent merci et à très bientôt.
Merci, Chantal ! Bonnes expériences sauvages !
Merci Nathalie pour cette recette , je faisais de la liqueur mais je vais essayer la compote avec le gâteau.
Bonjour Arlette, une fois que vous l’aurez expérimentée, dites-moi ce que vous avez pensé de cette recette !
Merci pour cet article très complet. J attends les autres avec impatience.
Merci, Mary ! Je vais m’appliquer… ! 🙂